Nous sommes le 3 décembre et c’est aujourd’hui la Journée mondiale des personnes handicapées. En ce jour particulier, Point Q aimerait parler…. sexualité et handicap ! Sujet presque tabou dans notre société mais pourtant primordial pour les personnes en situation de handicap.
Pour comprendre et surtout sensibiliser le grand public à ces questions, Jeannette a rencontré Audrey Hervouet, psychologue clinicienne.
[Le point de Jeannette]
Nous aurions aussi aimé laisser la parole aux concerné·e·s. Et malgré nos appels à témoignages, nous n’avons pas pu interroger de personne en situation de handicap, que ce soit physique, mental ou les deux.
À toi qui nous lis, si tu trouves injuste (à forte raison) de ne pas être représenté.e, si tu te sens invisibilisé.e, crois bien que nous le regrettons.
Alors si tu souhaites te faire entendre, je t’en prie, envoie moi un petit mail à jeannette@point-q.com. Nous partagerons ton histoire avec grand plaisir (et de manière anonyme).
Vous le savez, Point Q est un espace safe et nous désirons créer une communauté où chacun.e peut s’exprimer.
Mais Rome ne s’est pas faite en un jour et nous essayons constamment de nous améliorer. Pour cela, nous avons besoin de votre aide <3
Maintenant, je laisse (enfin) la parole à Audrey !
Bonjour Audrey, merci de répondre à mes questions ! Pouvez-vous nous présenter votre travail?
Je suis psychologue clinicienne, salariée et libérale. J'interviens principalement dans le domaine de la gériatrie et du handicap.
Qu'est-ce qui vous a poussé à aborder le sujet du handicap et de la sexualité?
Ce sont les patient.es que je suis au sein d'un foyer de vie pour personnes adultes handicapées (l’association Handi Espoir) qui m'ont sollicité à ce sujet. Au fil du temps, je me suis dit qu'il y avait beaucoup à faire et sur de nombreux versants : anatomique, juridique, relationnel, psychologique, représentations sociales…
La première difficulté sur ce sujet concerne les représentations sociales et ce double tabou « handicap et sexualité ». Il faut comprendre que lorsque l'on vit en institution et que l'on est dépendant·e, il y a une sorte de regard constant sur ce que l'on fait ou l'on est.
Ainsi, même quand une rencontre autour de la sexualité est possible, bien souvent familles ou équipes soignantes vont venir la compliquer ou tenter de la normer selon leurs critères de ce que doit être « La sexualité » (comme s’il n’en existait qu’une !) .
Quel rôle peuvent avoir les soignant.e·s quand il s'agit de prendre en compte la sexualité des personnes en situation de handicap?
Simplement accueillir cette parole, comme ielles peuvent entendre que quelqu'un souffre ou est triste. Pourquoi est-ce si différent quand la souffrance relève de la sexualité ?
Les soignant.es peuvent-ielles, aujourd'hui, travailler efficacement sur ces problématiques?
Le problème actuel c'est que les solutions sur le terrain sont extrêmement limitées, surtout quand l’atteinte physique est importante. Et un.e soignant.e n’est pas un.e assistant.e sexuel.le.
Heureusement il y a plein de choses à penser et à inventer : des ateliers, des groupes de parole, des sorties pour développer la vie sociale et les rencontres, des soins esthétiques…
La sexualité ne se joue pas que dans l'acte sexuel à proprement parler.
Handicap physique, handicap mental : abordez-vous le sujet de la sexualité de la même manière?
Je pars toujours de là où en est la personne. Quel est son questionnement? La simple phrase « je veux faire l'amour » peut amener à différents degrés de réponses. C'est pourquoi il est important de savoir ce que la personne entend derrière les mots qu'ielle emploie.
Pouvez-vous nous dire ce qu'est la castration chimique? Qu'en pensez-vous?
Je ne suis ni médecin ni spécialiste, mais pour résumer c'est un médicament qui diminue la libido, donc le désir sexuel. Et dont on connaît depuis cet été le risque de tumeur au cerveau (méningiome).
Pour ma part, ce que j'ai pu constater avec les patient.es que j'ai rencontré sous castration chimique, c'est qu'elle a été mise en place vers 18/20 ans, dans une période où la libido est élevée mais où normalement, on apprend justement à la gérer par nos expériences.
La frustration étant souvent plus grande en institution, et faisant peut-être parfois plus de bruit (notamment pour le handicap mental), la castration chimique apparaît donc comme une solution simple et efficace.
Bien souvent demandée par la famille, elle permet également inconsciemment de garder la personne dans un statut d'enfant.
Comment peut-on éduquer les jeunes résident.es en situation de handicap à la sexualité?
Comme tou.tes les jeunes : en les informant, en les sensibilisant ! Mais encore plus dans le handicap, en considérant qu'ielles auront eux aussi une vie sexuelle.
Une de mes patientes reprend toujours cet exemple : elle a demandé à sa mère de prendre la pilule car elle avait un petit ami et sa mère lui a répondu « Pourquoi faire, tu es handicapée ».
C'est tout un travail de déconstruction qui doit être amorcé : pour les résident.es, leurs familles, les soignant.es et même la société !
Quelles solutions ""pratiques"" peut-on rapidement mettre en place (usage de sextoys par exemple)?
Effectivement les sex-toys peuvent être une solution pour les plaisirs solitaires comme à plusieurs. Mais là encore c'est compliqué car il y a des enjeux de prise en main, d'allumage.
Voilà pourquoi j'ai demandé des partenariats avec des fournisseurs afin que les patient.es puissent voir différents modèles.
Des sorties en sex-shop sont évidemment possibles, mais en institution c'est plus complexe à organiser (notamment en terme de temps individuel).
Sensibiliser le grand public à cette question est pour moi fondamental !
Tant que nous ne changerons pas notre regard, les personnes en situation de handicaps devront toujours avoir l’impression de braver quelque chose quand il s'agit de leur sexualité.
Imaginons que je veuille dormir avec quelqu'un ce soir, je peux alors me glisser dans son lit.
Si j’étais dépendante et en institution, je devrais prévenir que je ne dors pas dans ma chambre, voir demander que l'on me transfère dans le lit de la personne ! Selon le.la soignant.e présent.e lors de ma demande je sais d'avance quelle réaction j'aurai (car ielles nous connaissent bien!) … et une simple nuit devient toute une histoire ! Nous sommes jugé.es sur la teneur de notre relation (sexe ou sentiment), on nous impose une fréquence de nuit ensemble pour répondre à l'organisation du collectif ; bref avant même que la nuit se soit passée, des mois, des réunions d'équipes et des débats interminables peuvent s’être rajoutés... Tout ça pour une nuit à côté de quelqu'un.e !
Côté solutions, j'essaie toujours de partir également de ce que m’amène les résident.es : l'idée du speed dating a jailli en groupe (un s'est organisé dans le Var) car la sexualité passe par la rencontre avec l'autre.
La création d'un fascicule sur les droits et la sexualité en institution (également réalisé avec les résident.es) leur a permis de se réaffirmer dans leurs « droits à une sexualité » et sortir de cette ingérence familiale ou institutionnelle
Il existe de plus en plus d'initiatives à ce sujet, à nous de continuer et surtout d'écouter les propositions et les difficultés des premier.es concerné.es.
Merci infiniment Audrey !
À titre personnel, j’aimerais dire que cette rencontre avec Audrey m’a beaucoup apporté. Pour nourrir cette réflexion, j’ai discuté sexualité et handicap avec mon entourage. La plupart de mes proches (ou moins proches) n’avait jamais eu à y réfléchir et il est fort probable qu’ielles (nous) ne souhaitions pas particulièrement y penser.
Mais quelle est mon excuse, toute Jeannette que je suis, de ne pas m’y être intéressée plus tôt?
Quand j’étais encore à la fac (il y a fort longtemps), je travaillais à côté de mes études comme aide à domicile pour une jeune fille qui a un handicap moteur. Je faisais des nuits, je l'accompagnais en journée bref, je savais qu'elle n'était jamais seule. Et (jamais) je ne me suis demandée ce qu'il en était de sa sexualité. Bien sûr que c’est un sujet extrêmement intime, mais avec le temps nous étions devenues proches, nous avons quasiment le même âge.
Elle connaissait ma vie, mes problèmes, et je connaissais les siens. Jamais, nous n’avons discuté cul. Ce qui est pourtant un sujet courant quand on a la vingtaine.
Alors comment ai-je pu passer à côté, ne jamais me questionner? Mais comment pouvait-elle m'en parler?
Attention, je ne dis pas ici qu’il faut, en présence d’une personne en situation de handicap, mettre les pieds dans le plat : “Hello, tu vas bien? Il fait beau aujourd’hui non? Et sinon ta vie sexuelle, bien ou bien?” La sexualité est un espace intime pour tout le monde !
Non, je vous demande d’être attentif.ves.
Arrêtons d’être indifférent.es à la question de la sexualité et du handicap.
Et n’oubliez pas, si vous avez des questions, je ne suis jamais loin !
À très vite,
Jeannette